Wanda Landowska
Wanda Landowska, par Philip Halsman, Halsman Sight and Insight, New York, Doubleday, 1972 © Magnum
En 1941, lorsque Wanda Landowska âgée de 61 ans embarque pour les Etats-Unis depuis le Portugal, elle peut s’enorgueillir d’avoir mené une remarquable carrière et contribué au renouveau de la musique ancienne, animée par la passion du clavecin.
Cette jeune prodige, née à Varsovie, s’était déjà produite dans les grandes capitales du monde entier. Quel contraste avec l’atelier de son vieil ami Aristide Maillol à Banyuls où, fuyant la région parisienne en septembre 1940, elle se réfugie en attendant l’exil !
Aux Etats-Unis où elle débarque le jour de la défaite de Pearl Harbour, elle entame une seconde et toute aussi brillante carrière.
Tout au long de sa vie, la relation de Wanda Landowska à l’Allemagne restera placée sous le signe de l’ambivalence : jouant une partition trouble, le pays qui l’avait accueillie et couverte d’honneurs, sera plus tard celui qui la persécutera.
De Varsovie à Paris
Née à Varsovie, dans une famille d’origine juive convertie au catholicisme, Wanda Landowska (1879-1959), débute la musique à l’âge de 4 ans. Elle s’installe à Berlin en 1886 pour étudier le violon et la composition.
Puis, en 1900, elle choisit de s’installer à Paris et s’intéresse de très près au répertoire des XVIe et XVIIe siècles. A 24 ans, elle effectue sa première tournée européenne, qui l’emmène jusqu’en Russie. Très vite, elle découvre Jean-Sébastien Bach, et joue au clavecin ses œuvres pour clavier.
Pour que ces derniers puissent être joués dans les grandes salles de concert nouvellement construites, elle commande à la maison Pleyel la construction d’un clavecin qu’elle inaugure en 1912 au festival Bach de Breslau : Cette prestation est accueillie avec un formidable enthousiasme. Le modèle de clavecin élaboré par Pleyel sur les recommandations de Wanda Landowska sera fabriqué jusqu’en 1969.
En 1904, l’Ecole Supérieure de Musique de Berlin, Musikhochschule, crée pour elle le tout premier poste de professeur de clavecin.
Lorsque le premier conflit mondial éclate en 1914, Wanda Landowska, jeune mariée, se trouve toujours à Berlin, où elle est bloquée par les autorités. Elle met à profit cette période pour écrire un ouvrage, sur la musique qui sera publié en 1909 au Mercure de France (1) et n’hésite pas à prendre la plume pour contrer les critiques qui reprochent au clavecin un son métallique et aigrelet.
A Paris, qui redevient son port d’attache après la guerre, Wanda Landowska enseigne son art à la Sorbonne et à l’Ecole Normale. Elle effectue sa première tournée aux Etats-Unis en 1923, sous la direction de Leopold Stokowski. C’est là qu’elle s’installera définitivement lorsqu’elle sera contrainte d’abandonner la France.
En 1904, l’Ecole Supérieure de Musique de Berlin, Musikhochschule, crée pour elle le tout premier poste de professeur de clavecin.
Lorsque le premier conflit mondial éclate en 1914, Wanda Landowska, jeune mariée, se trouve toujours à Berlin, où elle est bloquée par les autorités. Elle met à profit cette période pour écrire un ouvrage, sur la musique qui sera publié en 1909 au Mercure de France (1) et n’hésite pas à prendre la plume pour contrer les critiques qui reprochent au clavecin un son métallique et aigrelet.
A Paris, qui redevient son port d’attache après la guerre, Wanda Landowska enseigne son art à la Sorbonne et à l’Ecole Normale. Elle effectue sa première tournée aux Etats-Unis en 1923, sous la direction de Leopold Stokowski. C’est là qu’elle s’installera définitivement lorsqu’elle sera contrainte d’abandonner la France.
La dame de Saint-Leu-la-Forêt
Durant les années vingt, elle fait construire de toutes pièces un auditorium à côté de sa maison de Saint-Leu-la-Forêt où se succèderont concerts et cours d’interprétation jusqu’en 1940 .
Elle y rassemble une importante collection d’instruments anciens, et une bibliothèque de plus de 10 000 ouvrages qu’elle partage volontiers avec les étudiants et mélomanes du monde entier qui participent à ses cours d’interprétation et aux concerts qu’elle organise. Inspiratrice de nombreux compositeurs, Wanda Landowska sera la dédicataire du Concerto pour Clavecin et cinq instruments solistes de Manuel de Falla et du Concert Champêtre de Poulenc.
En 1940, à l’approche des troupes nazies, Wanda Landowska rejoint la zone libre, en compagnie de Denise Restout, sa fidèle amie et secrétaire. Quelques mois plus tard, elles embarquent depuis Lisbonne pour les Etats-Unis sur le paquebot Exeter et arrivent à New-York le 7 décembre 1941, jour-même du bombardement de Pearl Harbour.
Wanda Landowska s’était déjà produite avant-guerre aux Etats-Unis, si bien que ce n’est pas une inconnue qui se produit en New-York en février 42. Couronné de succès, ce concert marque le début de sa nouvelle vie : elle enseigne (les plus connus de ses élèves sont Ralph Kirkpatrick et Raphaël Puyana), enregistre, donne de nombreux récitals, puis quitte New-York pour la tranquille bourgade de Lakeville, dans le Connecticut, où elle décède en 1959, sans enfants.
Enregistrement réalisé au domicile de Wanda Landowska en 1953
Au moment de l’arrivée des nazis au pouvoir, Wanda Landowska est donc une personnalité musicale de premier plan. Ses tournées l’ont menée dans le monde entier. En Allemagne, la classe de clavecin qu’on ouvre pour elle à Berlin, la renommée de ses interprétations et ses publications sur la musique ancienne sont autant d’initiatives remarquables. Son importante collection d’instruments anciens, et la bibliothèque constituent donc une cible de choix pour le Sonderstab Musik, le commando musique dirigé par le musicologue Herbert Gerigk.
En effet, le Sonderstab Musik connaissait depuis longtemps l’existence de l’importante collection d’instruments et d’ouvrages de Wanda Landowska : Elle figure dans le Lexikon der Juden in der Musik, cet annuaire des Juifs dans la musique, publié par les Nazis en 1940. L’opération Landowska était donc prévue de longue date : les saisies étaient notamment destinées à la Hohe Schule.
Lorsqu’en mars 1940 les allemands s’approchent de la capitale, Wanda Landowska achève l’enregistrement d’un disque consacré aux sonates de Domenico Scarlatti. La tension est présente :
dans la petite sonate en ré majeur K. 490, l’une des huit gravées ce jour-là,on entend clairement le bruit des bombardements (2).
Le 10 juin 1940, devançant la signature du traité d’armistice, Wanda Landowska et sa secrétaire Denise Restout fuient la zone occupée pour le Sud.
Au moment de l’arrivée des nazis au pouvoir, Wanda Landowska est donc une personnalité musicale de premier plan. Ses tournées l’ont menée dans le monde entier. En Allemagne, la classe de clavecin qu’on ouvre pour elle à Berlin, la renommée de ses interprétations et ses publications sur la musique ancienne sont autant d’initiatives remarquables. Son importante collection d’instruments anciens, et la bibliothèque constituent donc une cible de choix pour le Sonderstab Musik, le commando musique dirigé par le musicologue Herbert Gerigk.
En effet, le Sonderstab Musik connaissait depuis longtemps l’existence de l’importante collection d’instruments et d’ouvrages de Wanda Landowska : Elle figure dans le Lexikon der Juden in der Musik, cet annuaire des Juifs dans la musique, publié par les Nazis en 1940. L’opération Landowska était donc prévue de longue date : les saisies étaient notamment destinées à la Hohe Schule.
Lorsqu’en mars 1940 les allemands s’approchent de la capitale, Wanda Landowska achève l’enregistrement d’un disque consacré aux sonates de Domenico Scarlatti. La tension est présente :
dans la petite sonate en ré majeur K. 490, l’une des huit gravées ce jour-là,on entend clairement le bruit des bombardements (2).
Le 10 juin 1940, devançant la signature du traité d’armistice, Wanda Landowska et sa secrétaire Denise Restout fuient la zone occupée pour le Sud.
Spoliations
Pendant ce temps, les mesures anti-juives prises par les nazis et le Gouvernement de Vichy dès l’été 1940 permettent au Sonderstab Musik de mettre en œuvre ses projets.
Autour du 20 septembre, Herbert Gerigk accompagné d’une quinzaine de manutentionnaires se présente à Saint-Leu-la-Forêt.
Il ne faut pas moins d’une dizaine de jours aux équipes de Gerigk pour démonter et emballer les instruments et la bibliothèque. Le 29 septembre, on dénombre déjà 54 caisses prêtes à être expédiées au Louvre où elles seront réceptionnées par Rose Valland (3) puis stockées avant d’être transportées en Allemagne. Au total, 60 caisses seront inventoriées avec plus ou moins de précisions (parmi les caisses figurant sur un memo manuscrit, six d’entre-elles contiennent les effets de Darius Milhaud).
Mais, à l’automne 1940, Denise Restout n’hésitera pas à regagner Paris, déterminée à récupérer les biens spoliés de Wanda Landowska. A Saint-Leu-la-Forêt, elle constate les scellés, recueille le témoignage de la femme de ménage, et rédige un premier courrier de réclamation aux autorités françaises qui ne sera transmis aux Allemands que le 5 décembre.
Entretemps, les caisses seront transportées à Berlin.
Un inventaire est établi par les allemands, en février 1941 à l’arrivée dans les entrepôts du transporteur Edmund Franzkowiak.
L’importance de l’opération, l’organisation de son déroulement et les réactions qu’elle a suscitées de part et d’autres ont donné lieu à de nombreux échanges, qui sont autant de précieux indicateurs pour suivre la route des biens spoliés de Wanda Landowska.
Liste des caisses de Wanda Landowska établie par le Sonderstab Musik le 2 janvier 1941 © Skip Sempé
Pendant ce temps, les mesures anti-juives prises par les nazis et le Gouvernement de Vichy dès l’été 1940 permettent au Sonderstab Musik de mettre en œuvre ses projets.
Autour du 20 septembre, Herbert Gerigk accompagné d’une quinzaine de manutentionnaires se présente à Saint-Leu-la-Forêt.
Il ne faut pas moins d’une dizaine de jours aux équipes de Gerigk pour démonter et emballer les instruments et la bibliothèque. Le 29 septembre, on dénombre déjà 54 caisses prêtes à être expédiées au Louvre où elles seront réceptionnées par Rose Valland (3) puis stockées avant d’être transportées en Allemagne. Au total, 60 caisses seront inventoriées avec plus ou moins de précisions (parmi les caisses figurant sur un memo manuscrit, six d’entre-elles contiennent les effets de Darius Milhaud).
Mais, à l’automne 1940, Denise Restout n’hésitera pas à regagner Paris, déterminée à récupérer les biens spoliés de Wanda Landowska. A Saint-Leu-la-Forêt, elle constate les scellés, recueille le témoignage de la femme de ménage, et rédige un premier courrier de réclamation aux autorités françaises qui ne sera transmis aux Allemands que le 5 décembre.
Entretemps, les caisses seront transportées à Berlin.
Un inventaire est établi par les allemands, en février 1941 à l’arrivée dans les entrepôts du transporteur Edmund Franzkowiak.
L’importance de l’opération, l’organisation de son déroulement et les réactions qu’elle a suscitées de part et d’autres ont donné lieu à de nombreux échanges, qui sont autant de précieux indicateurs pour suivre la route des biens spoliés de Wanda Landowska.
Liste des caisses de Wanda Landowska établie par le Sonderstab Musik le 2 janvier 1941 © Skip Sempé
Restitution
Le répertoire des biens spoliés durant la guerre 1939- 1945, publié entre 1947 et 1949, par le Bureau central des restitutions est un document de plus de 6000 pages. Il contient des informations provenant de personnes spoliées, de documents émanant de l’administration allemande ou d’autres sources d’information, telles que les notes établies par Rose Valland lors du passage des œuvres au Louvre. Grâce aux photos prises avant guerre et aux descriptifs fournis par Denise Restout, tous les instruments de Wanda Landowska y figureront. Après guerre, il fut donc possible de comparer ces documents avec les fiches descriptives, les « Property Cards » établies par les alliés sur le point de collecte de Munich vers lequel ont convergé, dès septembre 1945, les biens stockés par l’ERR dans certaines réserves.
Ces fiches nous indiquent que les instruments quittèrent la Bavière pour Paris entre janvier et juillet 1946.
Voici ceux que nous avons pu localiser à ce jour (octobre 2019) :
- En France, le musée de la musique à Paris conserve deux petits pianos carrés scandinaves. Un petit orgue se trouve toujours au Château d’Assas, près de Montpellier.
- En Belgique, le musée de Bruxelles possède deux épinettes
- Aux Etats-Unis, la bibliothèque du congrès à Washington possède quant à elle le fond Landowska de Lakeville comprenant notamment la correspondance et les archives de Wanda Landowska.
Deux clavecins Pleyel en font partie :
-
- un clavecin spolié « par erreur » par les allemands, car il avait été simplement mis à la disposition de l’artiste, qui n’en était pas propriétaire.
- le second clavecin qui se trouve aux Etats Unis est un instrument qui avait été expédié aux Etats-Unis en 1941, en plein conflit par Wanda Landowska. Ce dernier n’est donc pas, stricto sensu, un instrument spolié, c’est pourquoi il ne figure pas sur l’inventaire.
- En Afrique du Sud, le Hans Adler Memorial Music Museum possède un clavecin « Dans l’intérieur du couvercle, une peinture italienne attribuée à Verrochio ».
La collection de Wanda Landowska comprenait un autre instrument particulièrement intéressant : le piano du facteur Juan Bauza, qui aurait été celui de Chopin à la Chartreuse de Valdemossa.
Cet instrument se trouvait à nouveau après-guerre à Saint-Leu-la-Forêt. Il a mystérieusement disparu depuis. De récentes recherches ont permis de lever le voile posé sur ce piano que Chopin aurait prétendument joué sur l’Ile de Majorque devant George Sand : L’instrument de Juan Bauza que Wanda Landowska avait acquis a été fabriqué après la mort du compositeur et ne peut donc être le piano de Chopin !
On s’interroge encore sur les destinées des instruments à cordes et les bois qui n’ont pas été retrouvés à ce jour, et l’on déplore encore la perte de l’intégralité de la bibliothèque.
Comme on peut le constater, ce dossier est un cas d’école, tant pour l’ampleur de la spoliation que pour le nombre d’instruments restitués. Il s’agit également du cas le plus documenté. L’abondante correspondance de Denise Restout, notamment avec Willem de Vries, et les recherches approfondies de ce dernier ont permis de reconstituer les différentes étapes de cette tragique histoire.
En savoir plus : Passages Online / Centre allemand histoire de l’art Paris
Pascale Bernheim – Musique et Spoliations
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